tag:blogger.com,1999:blog-88541089468931908552024-02-08T17:20:16.487+01:00Materia philosophicaTextes classiques de philosophiedmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.comBlogger566125tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-45430214237348283422017-08-20T18:30:00.000+02:002017-08-20T18:30:14.907+02:00FREUD : la formation du Surmoi<div style="text-align: justify;">
Quand le ça tente d’imposer à un être humain quelque exigence pulsionnelle d’ordre érotique ou agressif, la réaction la plus simple, la plus naturelle du moi, maître des systèmes cogitatif et musculaire, est de satisfaire par un acte cette exigence. Cette satisfaction instinctuelle, le moi la ressent comme un plaisir, tandis que l’insatisfaction aurait provoqué, pour lui, du déplaisir. Toutefois il peut arriver que le moi, du fait de quelque obstacle extérieur, par exemple s’il s’aperçoit que l’acte en question entraînerait un grave danger, renonce à cette satisfaction. Le renoncement à une satisfaction, à une pulsion, par suite d’obstacles extérieurs, par obéissance, comme nous disons, au principe de réalité, n’est jamais agréable. Il provoquerait une tension et un déplaisir durables s’il ne se produisait, en même temps, grâce à un déplacement d’énergie, une diminution de la force pulsionnelle elle‑même. Mais il peut arriver que le renoncement se produise pour des motifs que nous pouvons à juste titre qualifier d’intérieurs. Au cours de l’évolution individuelle, une partie des forces inhibitrices du monde extérieur se trouve intériorisée, il se crée dans le moi une instance, qui, s’opposant à l’autre, observe, critique et interdit. C’est cette instance que nous appelons le « surmoi ». Dès lors, le moi, avant de satisfaire les instincts, se trouve obligé de tenir compte non seulement des dangers extérieurs, mais encore des exigences du surmoi et il aura ainsi d’autant plus de motifs de renoncer à une satisfaction. Mais alors que le renoncement dû à des raisons extérieures ne provoque que du déplaisir, le renoncement provoqué par des raisons intérieures, par obéissance aux exigences du surmoi, a un effet économique différent. A côté d’un déplaisir inévitable, il assure aussi un gain en plaisir, une sorte de satisfaction compensatoire. Le moi se sent exalté et considère comme un acte méritoire son renoncement à la pulsion. Nous croyons avoir compris le fonctionnement de ce mécanisme : le surmoi est le successeur et le représentant des parents [et des éducateurs] qui, pendant les premières années de l’individu, ont surveillé ses faits et gestes. Le surmoi continue, sans y presque rien changer, à remplir les fonctions de ces parents et éducateurs, ne cessant de tenir le moi en tutelle et d’exercer sur lui une pression constante. Comme dans l’enfance, le moi reste soucieux de ne pas perdre l’amour de ce maître dont l’estime provoque en lui un soulagement et une satisfaction, et les reproches, un remords. Quand le moi a fait au surmoi le sacrifice de quelque satisfaction instinctuelle, il en attend, en retour, un surcroît d’amour. Le sentiment d’avoir mérité cet amour se transforme en fierté. A une époque ou l’autorité ne s’était pas encore intériorisée et muée en surmoi, la relation entre la crainte de n’être plus aimé et l’exigence pulsionnelle devait avoir été la même. Un sentiment de sécurité et de satisfaction naissait chaque fois que, par amour filial, l’être renonçait à quelque satisfaction instinctuelle. Ce bon sentiment ne pouvait avoir acquis son caractère narcissique particulier qu’une fois l’autorité intégrée elle‑même dans le moi. »</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Moïse et le Monothéisme</i></div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-49071991032764217182017-08-20T11:30:00.000+02:002017-08-20T11:30:47.038+02:00Roland BARTHES : le sujet en dérive
<!--StartFragment-->
<!--EndFragment--><br />
<div style="text-align: justify;">
Alors peut-être revient le sujet, non comme illusion, mais comme fiction. Un certain plaisir est tiré d’une façon de s’imaginer comme individu, d’inventer une dernière fiction, des plus rares : le fictif de l’identité. Cette fiction n’est plus l’illusion d’une unité ; elle est au contraire le théâtre de société où nous faisons comparaître notre pluriel : notre plaisir est individuel — mais non personnel. - Chaque fois que j’essaye d’”analyser” un texte qui m’a donné du plaisir, ce n’est pas ma “subjectivité” que je retrouve, c’est mon “individu”, la donnée qui fait mon corps séparé des autres corps et lui approprie sa souffrance ou son plaisir : c’est mon corps de jouissance que je retrouve. Et ce corps de jouissance est aussi mon sujet historique ; car c’est au terme d’une combinatoire très fine d’éléments biographiques, historiques, sociologiques, névrotiques (...) que je règle le jeu contradictoire du plaisir (culturel) et de la jouissance (inculturelle), et que je m’écris comme un sujet actuellement mal placé, venu trop tard ou trop tôt (...) : sujet anachronique, en dérive.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Le plaisir du texte</i></div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-24286104371736460832017-08-20T11:24:00.000+02:002017-08-20T11:24:18.123+02:00Blaise PASCAL : le roseau pensant<div style="text-align: justify;">
Ce n'est point de l'espace que je dois chercher ma dignité, mais c'est du règlement de ma pensée. Je n'aurai point d’avantage en possédant des terres. Par l'espace, l'univers me comprend et m'engloutit comme un point ; par la pensée, je le comprends.</div>
<div style="text-align: justify;">
La grandeur de l’homme est grande en ce qu’il se connaît misérable ; un arbre ne se connaît pas misérable.</div>
<div style="text-align: justify;">
C’est donc être misérable que de se connaître misérable, mais c’est être grand que de connaître qu’on est misérable.</div>
<div style="text-align: justify;">
L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser ; une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.</div>
<div style="text-align: justify;">
Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il faut nous relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Pensées</i></div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-20048039084855709372017-08-20T11:21:00.002+02:002017-08-20T11:21:19.872+02:00PLATON : comment ce qui est mortel participe de l'immortalité<div style="text-align: justify;">
Quand on dit de chaque être vivant qu'il vit et qu'il reste le même - par exemple, on dit qu'il reste le même de l'enfance à la vieillesse -, cet être en vérité n'a jamais en lui les mêmes choses. Même si l'on dit qu'il reste le même, il ne cesse pourtant, tout en subissant certaines pertes, de devenir nouveau, par ses cheveux, par sa chair, par ses os, par son sang, c'est-à-dire par tout son corps. </div>
<div style="text-align: justify;">
Et cela est vrai non seulement de son corps, mais aussi de son âme. Dispositions, caractères, opinions, désirs, plaisirs, chagrins, craintes, aucune de ces choses n'est jamais identique en chacun de nous; bien au contraire, il en est qui naissent, alors que d'autres meurent. C'est en effet de cette façon que se trouve assurée la sauvegarde de tout ce qui est mortel; non pas parce que cet être reste toujours exactement le même à l'instar de ce qui est divin, mais parce que ce qui s'en va et qui vieillit laisse place à un être nouveau, qui ressemble à ce qu'il était. Voilà par quel moyen, Socrate, ce qui est mortel participe de l'immortalité, tant le corps que tout le reste.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Le banquet</i></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-76726513401647567452017-07-25T11:40:00.000+02:002017-07-25T11:40:07.904+02:00BERGSON : la philosophie a besoin de précision<div style="text-align: justify;">
Ce qui a le plus manqué à la philosophie, c'est la précision. Les systèmes philosophiques ne sont pas taillés à la mesure de la réalité où nous vivons. Ils sont trop larges pour elle. Examinez tel d'entre eux, convenablement choisi : vous verrez qu'il s'appliquerait aussi bien à un monde où il n'y aurait pas de plantes ni d'animaux, rien que des hommes ; où les hommes se passeraient de boire et de manger ; où ils ne dormiraient, ne rêveraient ni ne divagueraient [...] ; où tout irait à rebours et se tiendrait à l'envers. C'est qu'un vrai système est un ensemble de conceptions si abstraites, et par conséquent si vastes, qu'on y ferait tenir tout le possible, et même de l'impossible, à côté du réel. L'explication que nous devons juger satisfaisante est celle qui adhère à son objet : point de vide entre eux, pas d'interstice où une autre explication puisse aussi bien se loger ; elle ne convient qu'à lui, il ne se prête qu'à elle. Telle peut être l'explication scientifique. Elle comporte la précision absolue et une évidence complète ou croissante. En dirait-on autant des théories philosophiques ? </div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>La pensée et le mouvant</i></div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-65192250746717358242017-07-25T11:36:00.001+02:002017-07-25T11:36:17.296+02:00HUSSERL : la sagesse est une affaire personnelle<div style="text-align: justify;">
Quiconque veut vraiment devenir philosophe devra « une fois dans sa vie » se replier sur soi-même et, au dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu’ici et tenter de les reconstruire. La philosophie – la sagesse – est en quelque sorte une affaire personnelle du philosophe. Elle doit se constituer en tant que sienne, être sa sagesse, son savoir qui, bien qu’il tende vers l’universel, soit acquis par lui et qu’il doit pouvoir justifier dès l’origine et à chacune de ses étapes, en s’appuyant sur ses intuitions absolues. Du moment que j’ai pris la décision de tendre vers cette fin, décision qui seule peut m’amener à la vie et au développement philosophique, j’ai donc par là même fait le vœu de pauvreté en matière de connaissance.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /><i>Méditations cartésiennes</i> (1930)</div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-62998683077653846392017-07-25T11:31:00.000+02:002017-07-25T11:31:42.560+02:00SHOPENHAUEUR : l'étonnement philosophique<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: inherit;">Excepté l'homme, aucun être ne s'étonne de sa propre existence; c'est pour tous une chose si naturelle, qu'ils ne la remarquent même pas. La sagesse de la nature parle encore par le calme regard de l'animal; car, chez lui, l'intellect et la volonté ne divergent pas encore assez, pour qu'à leur rencontre, ils soient l'un à l'autre un sujet d'étonnement. Ici, le phénomène tout entier est encore étroitement uni, comme la branche au tronc, à la Nature, d'où il sort; il participe, sans le savoir plus qu'elle-même, à l'omniscience de la Mère Universelle. - C'est seulement après que l'essence intime de la nature (le vouloir vivre dans son objectivation) s'est développée, avec toute sa force et toute sa joie, à travers les deux règnes de l'existence inconsciente, puis à travers la série si longue et si étendue des animaux; c'est alors enfin, avec l'apparition de la raison, c'est-à-dire chez l'homme, qu'elle s'éveille pour la première fois à la réflexion; elle s'étonne de ses propres oeuvres et se demande à elle-même ce qu'elle est. Son étonnement est d'autant plus sérieux que, pour la première fois, elle s'approche de la mort avec une pleine conscience, et qu'avec la limitation de toute existence, l'inutilité de tout effort devient pour elle plus ou moins évidente. De cette réflexion et de cet étonnement naît le besoin métaphysique qui est propre à l'homme seul. L'homme est un animal métaphysique. Sans doute, quand sa conscience ne fait encore que s'éveiller, il se figure être intelligible sans effort; mais cela ne dure pas longtemps : avec la première réflexion, se produit déjà cet étonnement, qui sera plus tard le père de la métaphysique. (...)<br /><br /> De même, avoir l'esprit philosophique</span>, c’est être capable de s’étonner des événements habituels et des choses de tous les jours, de se poser comme sujet d’étude ce qu’il y a de plus général et de plus ordinaire ; tandis que l’étonnement du savant ne se produit qu’à propos de phénomènes rares et choisis, et que tout son problème se réduit à ramener ce phénomène à un autre plus connu.</div>
<div style="text-align: justify;">
Plus un homme est inférieur par l’intelligence, moins l’existence a pour lui de mystère. Toute chose lui paraît porter en elle-même l’explication de son comment et de son pourquoi. Cela vient de ce que son intellect est encore resté fidèle à sa destination originelle, et qu’il est simplement le réservoir des motifs à la disposition de la volonté ; aussi, étroitement uni au monde et à la nature, comme partie intégrante d’eux-mêmes, est-il loin de s’abstraire pour ainsi dire de l’ensemble des choses, pour se poser ensuite en face du monde et l’envisager objectivement, comme si lui-même, pour un moment du moins, existait en soi et pour soi.<br />Au contraire, l’étonnement philosophique, qui résulte du sentiment de cette dualité, suppose dans l’individu un degré supérieur d’intelligence, quoique pourtant ce n’en soit pas là l’unique condition : car, sans aucun doute, c’est la connaissance des choses de la mort et la considération de la douleur et de la misère de la vie, qui donnent la plus forte impulsion à la pensée philosophique et à l’explication métaphysique du monde.</div>
<b></b><i></i><u></u><sub></sub><sup></sup><strike></strike><div align="JUSTIFY" style="line-height: 0.61cm; margin-bottom: 0cm; orphans: 0; widows: 0;">
<br /></div>
<div align="JUSTIFY" style="line-height: 0.61cm; margin-bottom: 0cm; orphans: 0; widows: 0;">
<i>Le Monde comme volonté et comme représentation</i><b></b><u></u><sub></sub><sup></sup><strike></strike></div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-29666357623060958702017-07-25T10:42:00.000+02:002017-07-25T10:42:01.568+02:00HEGEL : Socrate a inventé la morale<div style="text-align: justify;">
Avec Socrate, au début de la guerre du Péloponnèse, le principe de l'intériorité, l'indépendance absolue de la pensée en soi, est parvenu à s'exprimer librement. n enseignait que l'homme devait trouver et reconnaître en lui-même ce qui est juste et bien et que par sa nature ce juste et ce bien est universel. Socrate est célèbre comme maître de morale ; mais bien plus, il a inventé la morale. Les Grecs ont eu de la moralité, mais les vertus, les devoirs moraux, voilà ce que voulait leur enseigner Socrate. L'homme moral n'est pas celui qui veut et qui fait le bien, ce n'est pas seulement l'homme innocent, mais celui qui a conscience de son action.<br /> En appelant Sagesse la conviction qui détermine l'homme à agir, Socrate a attribué au sujet, à l'encontre de la patrie et de la coutume, la décision finale, se faisant ainsi oracle, au sens grec. Il disait qu'il avait en lui un "daimon" qui lui conseillait ce qu'il devait faire et qui lui révélait ce qui était utile à ses amis. Le monde intérieur de la subjectivité en paraissant a provoqué la rupture avec la réalité. Si Socrate lui-même, il est vrai, accomplissait encore ses devoirs de citoyen, la vraie patrie pour lui n'était pas cet État actuellement existant et la religion de celui-ci, mais le mon de de la pensée. Alors fut soulevée la question de l'existence des dieux et de leur nature.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Leçons sur la philosophie de l'histoire</i></div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-89540086389528520922017-07-25T10:33:00.000+02:002017-07-25T10:33:27.762+02:00HEGEL : pour que la philosophie apparaisse il faut la conscience de la liberté<div style="text-align: justify;">
Pour que la philosophie apparaisse il faut la conscience de la liberté, et le peuple dans lequel la philosophie commence doit avoir la liberté comme principe ; pratiquement, cela est lié à l'épanouissement de la liberté réelle, la liberté politique. Celle-ci commence seulement là où l'individu se sait comme individu pour soi, comme universel, comme essentiel, comme ayant une valeur infinie en tant qu'individu ; où le sujet a atteint la conscience de la personnalité, où donc il veut affirmer sa valeur absolument pour soi. La libre pensée de l'objet y est incluse, - de l'objet absolu, universel, essentiel.<br /> Penser, cela veut dire mettre quelque chose dans la forme de l'universalité ; se penser veut dire se savoir comme universel, se donner la détermination de l'universel, se rapporter à soi. Là est contenu l'élément de la liberté pratique [...]. Dans l'histoire la philosophie apparaît donc seulement là où et en tant que se forment de libres constitutions. L'Esprit doit se séparer de son vouloir naturel, de son immersion dans la matière.<br /><br /><i>Leçons sur l'histoire de la philosophie</i></div>
<div align="right">
<b></b><i></i><u></u><sub></sub><sup></sup><strike></strike><i></i><br /></div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-30112677828866477352017-07-25T10:25:00.000+02:002017-07-25T10:25:23.208+02:00KANT : les questions fondamentales de la philosophie<div style="text-align: justify;">
Elles se ramènent toujours à la question : qu’est-ce que l’homme ? :<br /><br />“S’agissant de la philosophie selon son sens cosmique (1) (<i>in sensu cosmico</i>), on peut aussi l’appeler une science des maximes suprêmes de l’usage de notre raison, si l’on entend par maxime le principe interne du choix entre différentes fins.<br /><br />Car la philosophie en ce dernier sens est même la science du rapport de toute connaissance et de tout usage de la raison à la fin ultime de la raison humaine, fin à laquelle, en tant que suprême, toutes les autres fins sont subordonnées et dans laquelle elles doivent être toutes unifiées.<br /> Le domaine de la philosophie en ce sens cosmopolite se ramène aux questions suivantes<br /><br />1. Que puis-je savoir ?<br />2. Que dois-je faire ?<br />3. Que m’est-il permis d’espérer ?<br />4. Qu’est-ce que l’homme ?<br /><br />A la première question répond la métaphysique, à la seconde la morale, à la troisième la religion, à la quatrième l’anthropologie. <br /> Mais au fond, on pourrait tout ramener à l’anthropologie, puisque les trois premières questions se rapportent à la dernière.<br /><br />Le philosophe doit donc pouvoir déterminer<br />1. la source du savoir humain,<br />2. l’étendue de l’usage possible et utile de tout savoir, et enfin<br /> 3.les limites de la raison.<br /><br />Cette dernière détermination est la plus indispensable, c’est aussi la plus difficile, mais le philodoxe (2) ne s’en préoccupe pas”.<br /><br />Kant, <i>Logique</i> (1800), traduction de L. Guillermit,<br /> Éd. Vrin, 1970, pp. 25-26.<br /><br />1) Concept cosmique, par opposition à concept « scolastique », « celui qui concerne et intéresse nécessairement tout homme<br /><br />2) Qui aime l’opinion</div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-46536701152520173312017-07-25T10:15:00.000+02:002017-07-25T10:15:17.757+02:00VOLTAIRE : l'esprit philosophique contre la superstition et le fanatisme<div style="text-align: justify;">
Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances; il pourra bientôt tuer pour l'amour de Dieu. [...] Il n'est d'autre remède à cette maladie épidémique que l'esprit philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal ; (…) car l'effet de la philosophie est de rendre l'âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Dictionnaire philosophique portatif</i></div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-75034180215172388332016-02-03T15:46:00.001+01:002016-02-03T15:47:16.063+01:00ADORNO : Le jugement de goût comme expérience culturelle complexe<div style="text-align: justify;">
"L'opinion répandue par les esthéticiens, selon laquelle l'oeuvre d'art en tant qu'objet de contemplation immédiate doit être comprise uniquement à partir d'elle-même, ne résiste pas à l'examen. Elle ne trouve pas seulement ses limites dans les présupposés culturels d'une oeuvre, dans son « langage » que seul un initié est en mesure de suivre. Même lorsque de telles difficultés ne se présentent pas, l'oeuvre d'art demande plus que le simple abandon en elle-même. Celui qui veut déceler la beauté de La Chauve-souris doit savoir que c'est La Chauve-souris : il faut que sa mère lui ait expliqué qu'il ne s'agit pas seulement de l'animal ailé, mais d'un costume de bal masqué ; il faut qu'il se rappelle qu'on lui a dit : demain nous t'emmenons voir La Chauve-souris. Être inséré dans la tradition signifierait : vivre l'oeuvre d'art comme quelque chose de confirmé, dont la valeur est reconnue, participer, dans le rapport que l'on a avec elle, aux réactions de tous ceux qui l'ont vue auparavant. Si toutes ces conditions viennent à manquer, l'oeuvre apparaît dans toute sa nudité et sa faillibilité. L'action cesse d'être un rituel pour devenir une idiotie, la musique, au lieu d'être le canon de phrases riches de sens, paraît fade et insipide. Elle a vraiment cessé d'être belle."</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Theodor W. Adorno, <i>Minima Moralia</i></div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-6678142647313746112016-02-03T15:39:00.000+01:002016-02-03T15:39:10.479+01:00ADORNO : L'objectivité vraie de l'art<div style="text-align: justify;">
C'EST CELUI QUI LE DIT QUI Y EST ! – Ce qui est objectivement la vérité est déjà bien difficile à déterminer – mais, dans nos rapports avec les autres, il ne faut pas s'en laisser imposer le terrorisme. Et il existe là certains critères, qui suffisent dans un premier temps. Ainsi, et c'est un signe qui ne trompe pas, quand on vient vous objecter que ce que vous dites est « trop subjectif ». Quand on fait valoir cet argument, qui plus est avec l'indignation où vibre l'unanimité rageuse des gens raisonnables, on a toute raison d'être content de soi l'espace d'un instant. En effet, les concepts de « subjectif » et d' « objectif » se sont en l'occurrence complètement inversés. Ce qu'ils appellent « objectif », c'est le jour incontesté sous lequel apparaissent les choses, leur empreinte prise telle quelle et non remise en question, la façade des faits classifiés : en somme, ce qui est subjectif. Et ce qu'ils nomment « subjectif », c'est ce qui déjoue ces apparences, qui s'engage dans une expérience spécifique de la chose, se débarrasse des idées reçues la concernant et préfère la relation à l'objet lui-même au lieu de s'en tenir à l'avis de la majorité, de ceux qui ne regardent même pas et a fortiori ne pensent pas ledit objet : en somme, l'objectif. On voit combien les accusations formelles de subjectivisme et de relativisme tiennent peu dès qu'on aborde le domaine privilégié où elles sont invoquées, à savoir le domaine des jugements esthétiques. Celui qui s'est rigoureusement soumis aux exigences d'une oeuvre d'art, à ses lois formelles immanentes et à la nécessité qui l'a façonnée, en mobilisant toutes les ressources de précision propres à sa sensibilité personnelle, il ne peut plus accorder crédit à de telles réserves qui lui objectent le caractère purement subjectif de son expérience et il mesure tout ce qu'elles ont d'illusoire. Chaque pas qui le fait avancer, grâce à sa réceptivité profondément subjective, au coeur même de la chose a incomparablement plus de valeur objective que des catégorisations englobantes et bien établies comme, par exemple, le concept de « style », dont les prétentions de scientificité ne s'achètent qu'au prix de cette expérience elle-même. C'est encore plus vrai à l'époque du positivisme et de l'industrie de consommation culturelle où nous vivons, qui confie la définition de l'objectivité aux calculs des sujets qui organisent cette société. Face à cette objectivité-là, la raison s'est réfugiée complètement, en se fermant aux influences extérieures, dans les idiosyncrasies qui se voient reprocher leur arbitraire par l'arbitraire de ceux qui ont le pouvoir, car ces derniers veulent l'impuissance des sujets, par crainte d'une objectivité qui n'est conservée (aufgehoben) que par ces sujets.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Theodor W. Adorno, <i>Minima Moralia. Réflexions sur la vie mutilée</i></div>
dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-4347164016931676052012-08-12T13:55:00.000+02:002012-08-12T13:55:26.140+02:00DESCARTES : l'arbre du savoir<div style="text-align: justify;">
[Un homme] doit commencer tout de bon à s'appliquer à la vraie philosophie, dont la première partie est la métaphysique, qui contient les principes de la connaissance, entre lesquels est l'explication des principaux attributs de Dieu, de l'immatérialité de nos âmes, et de toutes les notions claires et simples qui sont en nous. La seconde est la physique, en laquelle, après avoir trouvé les vrais principes des choses matérielles, on examine en général comment tout l'univers est composé, puis en particulier quelle est la nature de cette Terre et de tous les corps qui se trouvent le plus communément autour d'elle, comme de l'air, de l'eau, du feu, de l'aimant et des autres minéraux. Ensuite de quoi il est besoin aussi d'examiner en particulier la nature des plantes, celle des animaux et surtout celle de l'homme, afin qu'on soit capable par après de trouver les autres sciences qui lui sont utiles. Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines font la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale, j'entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui, présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse. Or comme ce n'est pas des racines, ni du tronc des arbres, qu'on cueille les fruits, mais seulement des extrémités de leurs branches, ainsi la principale utilité de la philosophie dépend de celles de ses parties qu'on ne peut apprendre que les dernières.</div>
<br />
<i>Les principes de la philosophie</i>dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-70395300810267795602012-08-12T13:49:00.001+02:002012-08-12T13:49:13.437+02:00DESCARTES : les principes de la philosophie<div style="text-align: justify;">
J'aurais voulu premièrement y expliquer ce que c'est que la philosophie, en commençant par les choses les plus vulgaires, comme sont : que ce mot de philosophie signifie l'étude de la sagesse, et que par la sagesse on n'entend pas seulement la prudence dans les affaires, mais une parfaite connaissance de toutes les choses que l'homme peut savoir, tant pour la conduite de sa vie que pour la conservation de sa santé et l'invention de tous les arts; et qu'afin que cette connaissance soit telle, il est nécessaire qu'elle soit déduite des premières causes, en sorte que pour étudier à l'acquérir, ce qui se nomme proprement philosopher, il faut commencer par la recherche de ces premières causes, c'est-à-dire des principes; et que ces principes doivent avoir deux conditions : l'une, qu'ils soient si clairs et si évidents que l'esprit humain ne puisse douter de leur vérité, lorsqu'il s'applique avec attention à les considérer; l'autre, que ce soit d'eux que dépende la connaissance des autres choses, en sorte qu'ils puissent être connus sans elles, mais non pas réciproquement elles sans eux; et qu'après cela il faut tâcher de déduire tellement de ces principes la connaissance des choses qui en dépendent, qu'il n'y ait rien en toute la suite des déductions qu'on en fait qui ne soit très manifeste. Il n'y a véritablement que Dieu seul qui soit parfaitement sage, c'est-à-dire qui ait l'entière connaissance de la vérité de toutes choses; mais on peut dire que les hommes ont plus ou moins de sagesse à raison de ce qu'ils ont plus ou moins de connaissance des vérités plus importantes. Et je crois qu'il n'y a rien en ceci dont tous les doctes ne demeurent d'accord.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Les principes de la philosophie</i></div>dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-49349345614156927632012-08-12T13:00:00.000+02:002012-08-12T13:00:20.003+02:00MARC-AURELE : le philosophe et la mort<br />
<div style="text-align: justify;">
Durée de la vie de l'homme ? Un moment. Sa substance ? Changeante. Ses sensations ? Obscures. Toute sa masse ? Pourriture. Son âme ? Un tourbillon. Son sort ? Impénétrable. Sa réputation ? Douteuse. En un mot, tout ce qui est de son corps : comme l'eau qui s'écoule; ses pensées : comme des songes et de la fumée; sa vie : un combat perpétuel et une halte sur une terre étrangère; sa renommée après la mort : un pur oubli.</div>
<div style="text-align: justify;">
Qu'est-ce donc qui peut lui faire faire un bon voyage ? La seule philosophie. Elle consiste à empêcher que le génie qui habite en lui ne reçoive ni affront ni blessure; à être également supérieur à la volupté et à la douleur; ne rien faire au hasard; n'être ni dissimulé, ni menteur, ni hypocrite; n'avoir pas besoin qu'un autre agisse ou n'agisse pas; recevoir tout ce qui arrive et qui lui a été distribué comme un envoi qui lui est fait du même lieu dont il est sorti; enfin, attendre avec résignation la mort, comme une simple dissolution des éléments dont chaque animal est composé. Car si ces éléments ne reçoivent aucun mal d'être changés l'un en l'autre, pourquoi regarder de mauvais œil, pourquoi craindre le changement et la dissolution de tous ? Il n'y a rien là qui ne soit selon la nature. Donc point de mal.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Pensées</i></div>dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-45250746854145814682012-08-12T12:57:00.001+02:002012-08-12T12:57:38.256+02:00DIOGENE : je cherche un homme<br />
<div style="text-align: justify;">
Ayant vu un jour une souris qui courait sans se soucier de trouver un gîte, sans crainte de l'obscurité, et sans aucun désir de tout ce qui rend la vie agréable, il la prit pour modèle et trouva le remède à son dénuement. Il fit d'abord doubler son manteau, pour sa commodité, et pour y dormir la nuit enveloppé, puis il prit une besace, pour y mettre ses vivres, et résolut de manger, dormir et parler en n'importe quel lieu.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Il s'étonnait de voir les grammairiens tant étudier les mœurs d'Ulysse, et négliger les leurs, de voir les musiciens si bien accorder leur lyre, et oublier d'accorder leur âme, de voir les mathématiciens étudier le soleil et la lune, et oublier ce qu'ils ont sous les pieds, de voir les orateurs pleins de zèle pour bien dire, mais jamais pressés de bien faire, de voir les avares blâmer l'argent, et pourtant l'aimer comme des fous. Il reprenait ceux qui louent les gens vertueux parce qu'ils méprisent les richesses, et qui dans le même temps envient les riches. Il était indigné de voir des hommes faire des sacrifices pour conserver la santé, et en même temps se gaver de nourriture pendant ces sacrifices, sans aucun souci de leur santé.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Il affirmait opposer à la fortune son assurance, à la loi sa nature, à la douleur sa raison. Dans le Cranéion, à une heure où il faisait soleil, Alexandre le rencontrant lui dit : «Demande-moi ce que tu veux, tu l'auras.» Il lui répondit : «Ôte-toi de mon soleil !»</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Il se promenait en plein jour avec une lanterne et répétait : «Je cherche un homme.»</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Pendant un repas, on lui jeta des os comme à un chien; alors, s'approchant des convives, il leur pissa dessus comme un chien.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
On lui demanda pourquoi il était appelé chien : «Parce que je caresse ceux qui me donnent, j'aboie contre ceux qui ne me donnent pas, et je mors ceux qui sont méchants.» Quelqu'un lui dit : «Tu ne sais rien, et tu fais le philosophe.» «Mais, dit-il, simuler la sagesse, c'est encore être philosophe.»</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
On lui demandait ce qu'il y avait de plus beau au monde : «La franchise», dit-il.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Il avait coutume de tout faire en public, les repas et l'amour, et il raisonnait ainsi : «S'il n'y a pas de mal à manger, il n'y en a pas non plus à manger en public; or il n'y a pas de mal à manger, donc il n'y a pas de mal à manger en public.» De même il se masturbait toujours en public, en disant : «Plût au ciel qu'il suffît également de se frotter le ventre pour apaiser sa faim.»</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Il ne voyait pas qu'il fût mal d'emporter les objets d'un temple, ou de manger la chair de n'importe quel animal, et ne trouva pas si odieux le fait de manger de la chair humaine, comme le font des peuples étrangers, disant qu'en saine raison, tout est dans tout et partout.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Quelques auteurs veulent qu'il ait demandé qu'on laissât son corps sans sépulture, pour que les chiens pussent y prendre leur morceau, et qu'au moins, si on tenait à le mettre en fosse, on le recouvrît seulement d'un peu de poussière.</div>
<br />
Anecdotes et traits rapportés par Diogène Laërce, dans <i>Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres</i><br />dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-74159219226905987442012-08-12T12:54:00.000+02:002012-08-12T12:54:04.149+02:00PLATON : le philosophe embarrassé<br />
<div style="text-align: justify;">
Thalès observait les astres et, comme il avait les yeux au ciel, il tomba dans un puits. Une servante de Thrace, fine et spirituelle, le railla, dit-on, en disant qu'il s'évertuait à savoir ce qui se passait dans le ciel, et qu'il ne prenait pas garde à ce qui était devant lui et à ses pieds. La même plaisanterie s'applique à tous ceux qui passent leur vie à philosopher. Il est certain, en effet, qu'un tel homme ne connaît ni proche, ni voisin ; il ne sait pas ce qu'ils font, sait à peine si ce sont des hommes ou des créatures d'une autre espèce ; mais qu'est-ce que peut être l'homme et qu'est-ce qu'une telle nature doit faire ou supporter qui la distingue des autres êtres, voilà ce qu'il cherche et prend peine à découvrir.(...)</div>
<div style="text-align: justify;">
Voilà donc, ami (...) ce qu'est notre philosophe dans les rapports privés et publics qu'il a avec ses semblables. Quand il est forcé de discuter dans un tribunal ou quelque part ailleurs sur ce qui est à ses pieds et devant ses yeux, il prête à rire non seulement aux servantes de Thrace, mais encore au reste de la foule, son inexpérience le faisant tomber dans les puits et dans toute sorte de perplexités. Sa terrible gaucherie le fait passer pour un imbécile. (...) Entend-il parler d'un homme qui possède dix mille plèthres de terre comme d'un homme prodigieusement riche, il trouve que c'est très peu de chose, habitué qu'il est à jeter les yeux sur la terre entière. Quant à ceux qui chantent la noblesse et disent qu'un homme est bien né parce qu'il peut prouver qu'il a sept aïeux riches, il pense qu'un tel éloge vient de gens qui ont la vue basse et courte, parce que, faute d'éducation, ils ne peuvent jamais fixer leurs yeux sur le genre humain tout entier, ni se rendre compte que chacun de nous a d'innombrables myriades d'aïeux et d'ancêtres, parmi lesquels des riches et des gueux, des rois et des esclaves, des barbares et des Grecs se sont succédé par milliers dans toutes les familles. (...) Dans toutes ces circonstances, le vulgaire se moque du philosophe, qui tantôt lui paraît dédaigneux tantôt ignorant de ce qui est à ses pieds et embarrassé sur toutes choses.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="background-color: white; font-family: sans-serif; font-size: 12.800000190734863px; line-height: 19.200000762939453px; text-align: start;"><i>Théétète, 174a-175c.</i></span>
</div>dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-22277672477999802762012-08-12T12:51:00.000+02:002012-08-12T12:51:02.766+02:00PLATON : Eros philosophe<br />
<div style="text-align: justify;">
DIOTIME. — [...] Comme fils de Poros et de Pénia, voici quel fut le partage de l'Amour : d'abord il est toujours pauvre, et, loin d'être beau et délicat, comme on le pense généralement, il est maigre, malpropre, sans chaussures, sans domicile, sans autre lit que la terre, sans couverture, couchant à la belle étoile auprès des portes et dans les rues; enfin, comme sa mère, toujours dans le besoin. Mais, d'autre part, selon le naturel de son père, il est toujours à la piste de ce qui est beau et bon; il est mâle, hardi, persévérant, chasseur habile, toujours machinant quelque artifice, désireux de savoir et apprenant avec facilité, philosophant sans cesse, enchanteur, magicien, sophiste. De sa nature, il n'est ni mortel ni immortel1. Mais, dans le même jour, il est florissant et plein de vie, tant qu'il est dans l'abondance, puis il s'éteint, pour revivre encore par l'effet de la nature paternelle. Tout ce qu'il acquiert lui échappe sans cesse, en sorte qu'il n'est jamais ni riche ni pauvre. Il tient aussi le milieu entre la sagesse et l'ignorance, car aucun dieu ne philosophe ni ne désire devenir sage, puisque la sagesse est le propre de la nature divine; et, en général, quiconque est sage ne philosophe pas. Il en est de même des ignorants : aucun d'eux ne philosophe ni ne désire devenir sage, car l'ignorance a précisément le fâcheux effet de persuader ceux qui ne sont ni beaux, ni bons, ni sages, qu'ils possèdent ces qualités; or nul ne désire les choses dont il ne se croit point dépourvu.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
SOCRATE. — Mais, Diotime, qui sont donc ceux qui philosophent, si ce ne sont ni les sages ni les ignorants ?</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
— Il est évident, même pour un enfant, dit-elle, que ce sont ceux qui tiennent le milieu entre les ignorants et les sages, et l'Amour est de ce nombre. La sagesse est une des plus belles choses du monde; or l'Amour aime ce qui est beau; en sorte qu'il faut conclure que l'Amour est amant de la sagesse, c'est-à-dire philosophe, et, comme tel, il tient le milieu entre le sage et l'ignorant.</div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Le Banquet</div>dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-46936001528473120212012-08-12T12:48:00.000+02:002012-08-12T12:48:04.255+02:00PLATON : ne pas cesser de philosopher ?<div style="text-align: justify;">
Admettons que, malgré cela, vous me teniez ce langage : « Socrate, nous ne voulons pas en croire Anytos, nous voulons t’acquitter, à une condition toutefois : c’est que tu ne passeras plus tout ton temps à examiner ainsi les gens, ni à philosopher. Si on t’y reprend, tu mourras. Cette condition là, juges, si pour m'acquitter, vous vouliez me l'imposer, je vous dirais: « Athéniens, je vous sais gré et je vous aime; mais j'obéirai au dieu plutôt qu'à vous; et tant que j'aurai un souffle de vie, tant que j'en serai capable, soyez sûrs que je ne cesserai de philosopher, de vous exhorter, de faire la leçon à qui de vous que je rencontrerai. Et je lui dirai comme j'ai coutume de le faire: «Quoi! cher ami, tu es Athénien, citoyen d'une ville qui est plus grande, plus renommée qu'aucune autre pour sa science et sa puissance, et tu ne rougis pas de donner tes soins à ta fortune, pour l'accroître le plus possible, ainsi qu'à ta réputation et à tes honneurs ; mais quant à ta raison, quant à la vérité, quant à ton âme qu'il s'agirait d'améliorer sans cesse, tu ne t'en soucies pas, tu n'y songes pas! Et si quelqu'un de vous conteste, s'il affirme qu'il en a soin, ne croyez pas que je vais le lâcher et m'en aller immédiatement: non, je l'interrogerai, je l'examinerai, je discuterai à fond. Alors, s'il me paraît certain qu'il ne possède pas la vertu, quoi qu'il en dise, je lui reprocherai d'attacher si peu de prix à ce qui en a le plus, tant de valeur à ce qui en a le moins. jeunes ou vieux, quel que soit celui que j'aurai rencontré, étranger ou concitoyen, c'est ainsi que j’agirai avec lui, et surtout avec vous, mes concitoyens, puisque vous me tenez de plus près par le sang. Car c'est là ce que m'ordonne le dieu, entendez-le bien; et, de mon côté, je pense que jamais rien de plus avantageux n'est échu à la cité que mon zèle à exécuter cet ordre. Ma seule affaire, c'est en effet d'aller par les rues pour vous persuader, jeunes et vieux, de ne vous préoccuper ni de votre corps, ni de votre fortune aussi passionnément que de votre âme, pour la rendre aussi bonne que possible; oui, ma tâche est de vous dire que la fortune ne fait pas la vertu; mais que de la vertu provient la fortune et tout ce qui est avantageux, soit aux particuliers, soit à l'État. Si c'est par ce langage que je corromps les jeunes gens, il faut donc que cela soit nuisible. Quant à prétendre que ce n'est pas là ce que je dis, quiconque l'affirme ne dit rien qui vaille. » « Là-dessus, dirais-je, croyez Anytos ou ne le croyez pas, Athéniens, acquittez-moi ou ne m'acquittez pas - mais tenez pour certain que je ne changerai jamais de conduite, quand je devrais mille fois m'exposer à la mort. »</div>
<br />
<i>Apologie de Socrate</i>dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-85536676383617971232012-08-12T12:38:00.000+02:002012-08-12T12:38:24.328+02:00NIETZSCHE : le rôle du philosophe<br />
<div style="text-align: justify;">
Il me semble de plus en plus que le philosophe, étant nécessairement l'homme de demain ou d'après-demain, s'est de tout temps trouvé en contradiction avec le présent ; il a toujours eu pour ennemi l'idéal du jour. Tous ces extraordinaires pionniers de l'humanité qu'on appelle des philosophes et qui eux-mêmes ont rarement cru être les amis de la sagesse mais plutôt des fous déplaisants et de dangereuses énigmes, se sont toujours assigné une tâche dure, involontaire, inéluctable, mais dont ils ont fini par découvrir la grandeur, celle d'être la mauvaise conscience de leur temps. [...]</div>
<div style="text-align: justify;">
En présence d'un monde d' « idées modernes » qui voudrait confiner chacun de nous dans son coin et dans sa « spécialité », le philosophe, s'il en était encore de nos jours, se sentirait contraint de faire consister la grandeur de l'homme et la notion même de la « grandeur » dans l'étendue et la diversité des facultés, dans la totalité, qui réunit des traits multiples ; il déterminerait même la valeur et le rang d'un chacun d'après l'ampleur qu'il saurait donner à sa responsabilité. Aujourd'hui la vertu et le goût du jour affaiblissent et diluent le vouloir, rien n'est plus à la mode que la débilité du vouloir.</div>
<br />
<i>Par delà le bien et le mal : le rôle du philosophe, § 212</i>dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-76255806717844502832012-08-12T12:33:00.003+02:002012-08-12T12:33:56.978+02:00Bertrand RUSSELL : la valeur de la philosophie<div style="text-align: justify;">
La valeur de la philosophie doit en réalité surtout résider dans son caractère incertain même. Celui qui n'a aucune teinture de philosophie traverse l'existence, prisonnier de préjugés dérivés du sens commun, des croyances habituelles à son temps ou à son pays et de convictions qui ont grandi en lui sans la coopération ni le consentement de la raison." Pour un tel individu, le monde tend à devenir défini, fini, évident ; les objets ordinaires ne font pas naître de questions et les possibilités peu familières sont rejetées avec mépris. Dès que nous commençons à penser conformément à la philosophie, au contraire, nous voyons, comme il a été dit dans nos premiers chapitres, que même les choses les plus ordinaires de la vie quotidienne posent des problèmes auxquels on ne trouve que des réponses très incomplètes. La philosophie, bien qu'elle ne soit pas en mesure de nous donner avec certitude la réponse aux doutes qui nous assiègent, peut tout de même suggérer des possibilités qui élargissent le champ de notre pensée et délivre celle-ci de la tyrannie de l'habitude. Tout en ébranlant notre certitude concernant la nature de ce qui nous entoure, elle accroît énormément notre connaissance d'une réalité possible et différente ; elle fait disparaître le dogmatisme quelque peu arrogant de ceux qui n'ont jamais parcouru la région du doute libérateur, et elle garde intact notre sentiment d'émerveillement en nous faisant voir les choses familières sous un aspect nouveau.</div>dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-92153161144578594202012-08-12T12:30:00.001+02:002012-08-12T12:30:54.415+02:00Emmanuel KANT : on n'apprend pas la philosophie, on apprend à philosopher<br />
<div style="text-align: justify;">
La philosophie n'est véritablement qu'une occupation pour l'adulte, il n'est pas étonnant que les difficultés se présentent lorsqu'on veut la conformer à l'aptitude moins exercée de la jeunesse. L'étudiant qui sort de l'enseignement scolaire était habitué à <i>apprendre</i>. Il pense maintenant qu'il va <i>apprendre la Philosophie</i>, ce qui est pourtant impossible car il doit désormais apprendre à philosopher. Je vais m'expliquer plus clairement : toutes sciences qu'on peut apprendre au sens propre peuvent être ramenées à deux genres : les sciences <i>historiques </i>et les sciences <i>mathématiques</i>. Aux premières appartiennent, en dehors de l'histoire proprement dite, la description de la nature, la philologie, le droit positif, etc. Or dans tout ce qui est historique l'expérience <i>personnelle </i>ou le témoignage étranger, - et dans ce qui est mathématique, l'évidence des concepts et la nécessité de la démonstration, constituent quelque chose de donné en fait et qui par conséquent est une possession et n'a pour ainsi dire qu'à être assimilé : il est donc possible dans l'un et l'autre cas d'apprendre, c'est çà dire d'imprimer soit dans la mémoire, soit dans l'entendement, ce qui peut nous être exposé comme une discipline déjà achevée. Ainsi, pour pouvoir apprendre aussi la Philosophie, il faudrait d'abord qu'il en existât réellement une. On devrait pouvoir présenter un livre, et dire : « Voyez, voici de la science et des connaissances assurées; apprenez à le comprendre et à le retenir, bâtissez ensuite là-dessus, et vous serez philosophes. » : jusqu'à qu'on me montre un tel livre de Philosophie, sur lequel je puisse m'appuyer à peu près comme sur <i>Polybe</i> pour exposer un évènement de l'histoire, ou sur <i>Euclide </i>pour expliquer une proposition de Géométrie, qu'il me soit permis de dire qu'on abuse de la confiance du public lorsque, au lieu d'étendre l'aptitude intellectuelle de la jeunesse qui nous est confiée, et de la former en vue d'une connaissance <i>personnelle </i>future, dans sa maturité, on la dupe avec une Philosophie prétendue déjà achevée, qui a été imaginée pour elle par d'autres, et dont découle une illusion de science, qui ne vaut comme bon argent qu'en un certain lieu et parmi certaines gens, mais est partout ailleurs démonétisée. La méthode spécifique de l'enseignement en Philosophie est <i>zététique</i>, comme la nommaient quelques Anciens (de <i>dzètein</i>, rechercher), c'est-à-dire qu'elle est une méthode de <i>recherche</i>, et ce ne peut être que dans une raison déjà exercée qu'elle devient en certains domaines dogmatiques, c'est-à-dire dérisoire. </div>
<br />
<i>Annonce du programme des leçons de M.E. Kant durant le semestre d'hiver </i>(1765-1766)<br />dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-21643272069769670642012-08-12T12:25:00.000+02:002012-08-12T12:25:07.822+02:00GORGIAS : philosophie infantile<div style="text-align: justify;">
Il est beau d’étudier la philosophie dans la mesure où elle sert à l’instruction et il n’y a pas de honte pour un jeune garçon à philosopher ; mais, lorsqu’on continue à philosopher dans un âge avancé, la chose devient ridicule, Socrate, et, pour ma part, j’éprouve à l’égard de ceux qui cultivent la philosophie un sentiment très voisin de celui que m’inspirent les gens qui balbutient et font les enfants. Quand je vois un petit enfant, à qui cela convient encore, balbutier et jouer, cela m’amuse et me paraît charmant, digne d’un homme libre et séant à cet âge, tandis que, si j’entends un bambin causer avec netteté, cela me paraît choquant, me blesse l’oreille et j’y vois quelque chose de servile. Mais si c’est un homme fait qu’on entend ainsi balbutier et qu’on voit jouer, cela semble ridicule, indigne d’un homme, et mérite le fouet.C’est juste le même sentiment que j’éprouve à l’égard de ceux qui s’adonnent à la philosophie. J’aime la philosophie chez un adolescent, cela me paraît séant et dénote à mes yeux un homme libre. Celui qui la néglige me paraît au contraire avoir une âme basse, qui ne se croira jamais capable d’une action belle et généreuse. Mais quand je vois un homme déjà vieux qui philosophe encore et ne renonce pas à cette étude, je tiens, Socrate, qu’il mérite le fouet. Comme je le disais tout à l’heure, un tel homme, si parfaitement doué qu’il soit, se condamne à n’être plus un homme, en fuyant le cœur de la cité et les assemblées où, comme dit le poète, les hommes se distinguent, et passant toute sa vie dans la retraite à chuchoter dans un coin avec trois ou quatre jeunes garçons, sans que jamais il sorte de sa bouche aucun discours libre, grand et généreux. » […]En ce moment même, si l’on t’arrêtait, toi ou tout autre de tes pareils, et si l’on te traînait en prison, en t’accusant d’un crime que tu n’aurais pas commis, tu sais bien que tu serais fort embarrassé de ta personne, que tu perdrais la tête et resterais bouche bée sans savoir que dire, et que, lorsque tu serais monté au tribunal, quelque vil et méprisable que fût ton accusateur, tu serais mis à mort, s’il lui plaisait de réclamer cette peine. Or qu’y a t il de sage, Socrate, dans un art qui « prenant un homme bien doué le rend pire », impuissant à se défendre et à sauver des plus grands dangers, soit lui-même, soit tout autre, qui l’expose à être dépouillé de tous ses biens par ses ennemis et à vivre absolument sans honneur dans sa patrie ? Un tel homme, si l’on peut user de cette expression un peu rude, on a le droit de le souffleter impunément. Crois moi donc, mon bon ami, renonce à tes arguties, cultive la belle science des affaires, exerce toi à ce qui te donnera la réputation d’un habile homme ; « laisse à d’autres ces gentillesses », de quelque nom, radotages ou niaiseries, qu’il faille les appeler, « qui te réduiront à habiter une maison vide. Prends pour modèle non pas des gens qui ergotent sur ces bagatelles, mais ceux qui ont du bien, de la réputation et mille autres avantages.</div>
<br />
Platon, <i>Gorgias</i>dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8854108946893190855.post-90317541765693524692012-08-12T12:20:00.000+02:002012-08-12T12:20:22.071+02:00ROUSSEAU : se faire un magasin d'idées<br />
Nous déjeunions ordinairement avec du café au lait. Après une heure ou deux de causeries, j'allais à mes livres jusqu'au dîner. Je commençais par quelques livres de philosophie, comme la Logique de Port-Royal, l'Essai de Locke, Malebranche, Leibniz, Descartes, etc. Je m'aperçus bientôt que tous ces auteurs étaient entre eux en contradiction presque perpétuelle, et je me formai le chimérique projet de les accorder, qui me fatigua beaucoup et me fit perdre beaucoup de temps. Je me brouillais la tête, et n'avançais point. Enfin, renonçant encore à cette méthode, j'en pris une infiniment meilleure, et à laquelle j'attribue tout le progrès que je puis avoir fait, malgré mon défaut de capacité ; car il est certain que j'en eus toujours fort peu pour l'étude. En lisant chaque auteur, je me fis une loi d'adopter et de suivre toutes ses idées sans y mêler les miennes et celles d'un autre, et sans jamais disputer avec lui. Je me dis : "commençons par me faire un magasin d'idées, vraies ou fausses, mais nettes, en attendant que ma tête en soit assez fournie pour pouvoir les comparer et choisir". Cette méthode n'est pas sans inconvénient, je le sais, mais elle m'a réussi dans l'objet de m'instruire. Au bout de quelques années passées à ne penser exactement que d'après autrui, sans réfléchir pour ainsi dire et sans raisonner, je me suis trouvé un assez grand fonds d'acquis pour me suffire à moi-même, et penser sans le secours d'autrui. Alors, quand les voyages et les affaires m'ont ôté les moyens de consulter les livres, je me suis amusé à repasser et à comparer ce que j'avais lu, à peser chaque chose à la balance de la raison, et à juger quelquefois mes maîtres. Pour avoir commencé tard à mettre en exercice ma faculté judiciaire, je n'ai pas trouvé qu'elle eût perdu sa vigueur ; et quand j'ai publié mes propres idées, on ne m'a pas accusé d'être le disciple servile et de jurer in verba magistri.<br />
<br />
<i>Les Confessions</i><br />dmhttp://www.blogger.com/profile/01196487282887123713noreply@blogger.com0